Ah si, je le remarquais bientôt, ce petit losange argenté au dessus du losange bleu qu'avait obtenu rapidement STOFFEL, de la 70/12 : pendant mon absence il avait été nommé Brigadier-Chef : Bichef quoi.
C'était parfait voilà : c'est lui qui aurait autorité sur la chambrée.
C'était un type sympa, bien que pas trop expansif, il était de Roanne.
Il semblait savoir pas mal de chose, sans trop les livrer.
C'était un type bien en qui l' on pouvait avoir confiance.
Il y eut aussi la Saint-Georges, saint patron des cavaliers à l'occasion de cette fête une compétition entre les Escadrons : ce fut nous, le 1er Escadron, qui gagna encore, et c'est bien normal, car nous étions les meilleurs, et à cette victoire, j'y avais apporté ma modeste contribution.
L' Escadron devrait bientôt partir en manoeuvres, mi mai, et nous sûmes rapidement que nous, qui devenions libérables en mai, serions dispensés de cette promenade.
L'Escadron, le Régiment, semblait faire une croix sur notre classe 70/06.
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Retour en arrière :
Il m'arrivait souvent lorsque j'étais au bureau du Lieutenant, et ceci tout au long de mon service, petit local qui était aussi mon petit bureau situé dans l'Escadron, et que je n'avais rien à faire de précis, de compulser la documentation qui était à ma disposition.
C'est ainsi que je m'initiais à la D.O.T ou Défense Opérationnelle du Territoire, sorte de version transposée à l'Armée Française du dicton du Président Mao " l'Armée doit être dans le Peuple comme un poisson dans l'eau" : c'était l'hypothèse envisagée de l'intrusion dans notre beau pays, de ceux d'en face, les Popov., nous devions nous couler dans la population, chercher le renseignement, et se méfier des agents ennemis dormants ...
Dans cette hypothèse, la Guerre, outre une guerre frontale, était aussi une guerre par tentative de subversion de l'intérieur, l'ennemi extérieur ayant des soutiens à l'intérieur.
Cela me confortait dans l'idée que j'avais de Notre Armée, idée que j'avais exprimé devant le Lieutenant GHIRINGHELLI, lors de l'entretien d'incorporation, MES PREMIERS JOURS AU QUARTIER PLESSIER A ALTKIRCH
Je vis aussi des plaquettes très bien documentées sur les différentes tenues de ceux d'en face, les différentes troupes du Pacte de Varsovie, leur matériel, la durée de leur service qui était plus longue que la nôtre.
Une autre brochure documentaire aussi, traitant de l'utilité des projecteurs très puissants des chars de combats : comment éclairer le champ d'évolution d'un escadron ennemi ou de tout autre rassemblement, à son insu, par temps couvert : le projecteur, pointé vers le ciel et rencontrant le plafond nuageux éclairait ainsi le champ de bataille.
Bref des astuces que ceux d'en face devait connaître aussi : mais encore fallait il les apprendre.
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Troisième décadie de Mai, l' Escadron partait en manoeuvre, nous laissant seul (à l'Escadron seulement).
C'était notre Libération avant la date, la discipline se relachait, et le "foyer" était très fréquenté !
La température était douce, nous étions en mai, les arbres avaient remis leurs feuilles ...
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Nos camarades revinrent de Manoeuvres le 27 mai, veille de notre libération.
Le soir, comme il etait de coutûme, et bien que cela fut interdit par le réglement militaire, comme d'autres coutûmes, comme celle du PERE CENT, du petit cercueil qui circule lorsque l'on a dépassé le cap des derniers cent jours à faire,
alors, la fanfare, au complet cette fois, sonna à 22 heures l'extinction des feux, tandis que sur la Place d'Armes, nous, tous les libérables se tenant par la main faisions un grand zéro.
Le 28 mai, le jour J, toute la 70/06 se retrouva pour le repas de Midi en présence du Colonel, du Capitaine, des Lieutenants etc, au Foyer qui avait été réquisitionné et réservé pour le repas des Libérables.
Des tables, des nappes, pour la 70/06, classe dont l'essentiel de l'effectif venait du premier escadron était aussi disséminée à l'ECS et les différents services que cet Escadron pléthorique alimentait.
Puis l'ambiance, tout en restant joyeuse, tout cela, dégénéra finalement , à l'initiative de quelques uns, sans doute par jeu, au grand dam de la hiérarchie : les appelés galonnés se dégalonnèrent, trempant leurs insignes dans la boisson, et tout cela vola de part et d'autres du foyer, un vrai scandale et le plus drôle, c'est que c'était ceux qui avaient le plus mérité, ceux qui étaient les plus exemplaires aux yeux de la hiérarchie qui avaient initié la chose.
Les gradés étaient scandalisés, le dessert fut vite servi et nous sortîmes du foyer.
Il y avait eu comme un sentiment de révolte, une révolution ... c'était la mode, la mode des cheveux longs et des idées courtes ... qui s'était branché au chahut initial.
Retour à l'Escadron et presque tout de suite, rassemblement des Libérables, par peloton !!!!
Le Capitaine, pâle d'une colère contenue nous demanda de nous désigner individuellement comme ayant participé à cette joyeuse sauterie.
Question absurde qu'il nous posait là : tout le monde évidemment y avait participé : mais à notre grande surprise, seul notre petit Peloton échelon se désigna comme responsable, moi compris !
Nous nous attendions à une levée de mains unanimes !
Mais nos copains nous lachaient : Le Capitaine resta estomaqué, et le Lieutenant était pâle de colère !
Je pense qu'il était pâle de colère, non pas contre nous, mais de voir que finalement seul nous, qui plus est son peloton se dénonçait.
Le plus drôle, c'est qu'aucun de nous, je vous le certifie n'avait participé à ce charivari !
Nous fûmes convoqués immédiatement au bureau du Capitaine et il nous fit la morale, sur la signification de notre geste qui signifiait merde à la Société, merde au patron : il y avait dans tout cela beaucoup de fantasme : nous étions nous simplement heureux de quitter le Quartier et de ne plus avoir à y remettre les pieds.
Je pense néanmoins qu'il n'était pas aveugle lui non plus, et qu'il avait compris, et qu'indirectement il reconnut en nous un certain esprit de solidarité, esprit indispensable dans l'Armée, ce qu'on appelle l'Esprit de Corps.
Bref, il nous délivra notre CERTIFICAT DE BONNE CONDUITE : que j'ai toujours en ma possession.
Nous étions libérés, donc, Le Lieutenant tînt à organiser dans la Chambrée le pôt d'Adieu ...
Il ne fut pas tenue compte dans ce pot, auquel participaient nos copains de chambrée de la 70/12 qui restaient, de l'incident, très relatif du repas de fin de classe au Foyer.
Je pense qu'ils comprirent avec un peu de recul que tout ceci n'était pas très méchant au fond : vol de chiffon mouillés au dessus d'un nid de Libérables, ce n'est pas bien méchant !
Je pense surtout, que pendant un cours instant toute la hiérarchie militaire présente avait vu son autorité mise en cause : j'imagine que plus tard il se ressaisirent !
Donc pour ce pot de départ, nous bûmes du Champagne, et nous nous entretînmes calmement avec notre Lieutenant, l'incident était oublié, visiblement il ne nous en tenait pas rigueur et avait compris notre démarche.
Nos sous off, qui étaient là aussi, en restaient quand même un peu pantois !
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Puis le départ, brusquement par une belle journée de Printemps, nous nous retrouvâmes dehors, trois, nous fîmes du stop jusqu'à BELFORT, 33 kilomètres : celui qui nous prit nous raconta qu'en 1944, jeune appelé, il avait participé aux combats de la poche de Colmar contre l'Armée allemande, dans l'Armée du Général de Lattre de Tassigny, je crois.
Puis notre train, à BELFORT, toute la 70/06 était là ...
Puis le soir, arrivée à la Gare de l'EST : au bout du quai je revis CHABROL, de la Dordogne, qui devait gagner la Gare d'Austerlitz et je lui souhaitais une bonne vie ...
Là notre classe se sépara définitivement, dans une sorte d'euphorie hallucinée, je pris le métro, l'anonymat, ...
Plus tard, le Pont de Neuilly, le bus le 141, un pincement au coeur quand même.
J'arrivais à la Maison, ne comprenant pas ma nouvelle Liberté ...
Un peu plus d'un an après, étant avec Maman à PARIS, au niveau des grands magasins, dans le quartier Saint-Lazare, j'eus la bonne surprise de rencontrer mon copain Bernard, que je rencontrais la première fois le 2 Juin 1970 à la Gare de l'Est, lors de mon départ.
Il me fit parvenir ses voeux, au début de l'année suivante, puis la vie se chargea d'effacer temporairement nos souvenirs ...
Et puis voilà que, début 2008, sur un site bien connu propice à la retrouvaille des copains d'autrefois, je pus lui adresser un mail ...
Mais voilà la vie suit son cours et, je viens d'apprendre son décès à la mi octobre 2008.
J'ai adressé un petit mot à sa compagne ...